J'ai entendu dire que les diables étaient autrefois des anges. Parce qu'ils avaient des attentes irréalistes, ils ont été jetés en enfer et sont devenus des démons.
07
Faust gloussa. C'était drôle.
Le chauffe-cire sonna et il s'installa pour appliquer la cire sur ses jambes. Il allait remonter jusqu'aux oreilles. Tout son stock y passerait, mais c'était important de ne pas lésiner. Pas de peau, pas de poils, ne rien laisser.
Enfin, rien... Ce n'était pas tout à fait vrai. Mais ça n'était pas à lui. Il avait mis la dosette à décongeler la veille. Il ne pouvait plus reculer à présent. C'était parti.
Il tira un coup sec sur la première bande , sans broncher, et vérifia au toucher si une seule application suffisait.
Pendant un moment, il s'occupa de lui ainsi, et lentement ces gestes l'hypnotisèrent. Le renvoyèrent, progressivement, à son adolescence, puis à son enfance, lorsque c'était ses soeurs qui l'épilaient. A vrai dire, Faust ne se souvenait pas d'avoir jamais vu le moindre poil sur lui.
Il revit les petites mains fines des frangines sur son corps. Certaines délicates, d'autres brutales.
La solitude de l'esprit est la véritable solitude.
faust
Dans la famille, tout était question de rôle. Chacun avait le sien. Et si on le remplissait, on évitait les coups, voire on gagnait quelque chose, à commencer par de la nourriture. Ses soeurs devaient l'épiler, ça c'était acquis, pas de récompenses. Ensuite, elle devaient s'occuper de lui. Si elles le faisaient bien, elles savaient que le paternel les laisserait tranquilles un jour ou deux. Faust n'avait pas son mot à dire. Le sexe était primordial dans leur famille. Et Faust avait le rôle central.
Parfois c'était avec sa mère, dans la chambre avec l'horloge. Dans ces moments-là, Faust écoutait le tic-tac lancinant et il se concentrait si fort qu'il espérait pouvoir remonter le temps. Revenir en arrière, avant d'être nu, sur le lit avec elle, avant qu'elle ne lui fasse signe que c'était le jour, et peut-être qu'en utilisant assez de jus de cervelle il aurait la capacité de retenir le temps pour qu'il n'avance plus jamais. Revenir avant qu'il ne soit un homme.
Bien sûr, cela n'avait jamais fonctionné. Il détestait sa mère pour ça. Alors même que le vieux était en taule, elle aurait pu arrêter, mais non. C'était primordial. Pour tenir la famille, il fallait que chacun remplisse son rôle, et elle exigeait de Faust qu'il la remplisse elle, en écoutant l'horloge égrener le tic-tac du temps. La rébellion n'était pas envisageable chez les Simanoszki. Ca aurait été nier ce qu'ils étaient, vider de sens ce qu'ils avaient subi et ce qu'ils s'étaient infligé. Non, c'était impossible. Tout avait une raison.
Celle qui avait refusé de se plier à l 'ordre établi, celle qui avait manqué tout foutre en l'air, le paternel avait dû s'en charger et il l'avait butée. Une soeur de moins. Un enfant foiré sur dix, c'était acceptable. Pour ne pas risquer de compromettre le destin de Faust, que les flics fourrent leur nez de trop près dans leurs affaires, le paternel avait tout pris sur lui, et il n'avait pas cherché à se cacher, il avait avoué et il était parti à l'ombre.
Et rien n'avait changé en son absence.
Même les soeurs, trop endoctrinées et effrayées par les parents, avaient continué leur rôle. Trop heureuses que ça ne soit plus le vieux qui vienne les prendre quand bon lui semblait.
Faust se souvenait, à onze ans, lorsque son père lui avait imposé de rester dans la chambre des filles pour regarder. Il les avait déculottées chacune pour que Faust ne manque rien. Et il avait obligé Faust à l'imiter. Une par une. Au milieu des poupées. Toutes ces têtes en plastique qui le regardaient faire, les gros yeux bleus fixés sur lui, elles l'accusaient et se moquaient de lui, il en était persuadé. Il avait haï ces poupées blondes qui garnissaient les étagères. Blondes comme ses soeurs.
A chaque fois que le père disait à Faust d'aller baiser ses soeurs, Faust avait les boyaux qui se contractaient. Pas à cause de l'acte. A cause des poupées. Elles allaient encore le toiser, l'humilier de leur sourire narquois.
Dans le dos des vieux, les soeurs étaient odieuses. Elles le rabaissaient sans arrêt. L'humiliaient. Elles disaient qu'elles ne sentaient rien quand il venait les prendre. Que même ça, il ne savait pas le faire correctement. Pourtant, une fois, Faust en avait surpris une en train de pleurer en douce. Rare témoignage de leur humanité, d'un sentiment de culpabilité. Le soir même, la mère la cognait à la ceinture, et les jours suivants elle avait été d'une interminable cruauté avec lui.
Faust renversa une grande quantité de cire chaude sur ses testicules et il attendit qu'elle soit bien refroidie pour tirer un coup sec, violent. Il avait envie de se faire mal. C'était le cas à chaque fois qu'il repensait trop longtemps à son enfance.
La douleur le ramena à l'instant présent. A ce qu'il devait accomplir.
Une fois entièrement glabre, Faust passa dans la chambre où il entendait, malgré le vacarme de la musique au rez de chaussée, Hannibal gratter derrière la porte du placard. Il faillit le libérer, mais se ravisa. Le clébard allait le suivre partout, et ce n'était pas le bon moment pour ça. tout devait être parfait. Il allait ronfler dans son placard, Faust le libérerait ce soir, avant d'aller se désencombrer du corps en forêt.
Il passa sur le palier où il entreposait ses machines de musculation. Il était tenté de pousse run peu, juste pour faire ressortir encore plus ses muscles, ajouter à son impression de force, mais il savait que, lorsqu'il faisait ça, cela réveillait également sa libido, et ce n'était plus possible. Il constata qu'un des disques de fonte n'était pas parfaitement aligné avec les autres et alla le remettre. Il avait dû cogner dedans en remontant cette nuit. La salle de sport n'était pas au bon endroit, mais il n'avait pas mieux.
Faust descendit dans le salon, coupa l'ampli de la musique qui faisait vibrer les fenêtres tellement elle était forte, et il demeura là, à observer le disque tourner sur la platine, sans son, toujours nu. Le silence était agréable aussi.
Il se toucha le sexe. Il aimait ne rien porter quand il en avait une en bas. C'était plus excitant. Se caresser le sexe quand il le voulait. Sans même avoir à se déshabiller. Etre à poil, c'était se rendre dispo pour baiser à chaque seconde, se faire cajoler la bite par le passage de l'air. Totalement libre, totalement prêt. N'avoir qu'à descendre, la récupérer dans son trou, l'attacher, la prendre, et la renfermer. A loisir. Trois fois dans la journée s'il le voulait. Au milieu de la nuit parfois. Ou plus du tout pendant vingt-quatre heures lorsqu'il était un peu lassé. C'était déterminant, ces épisodes. Si le désir ne revenait pas le deuxième jour, il savait ce qu'il devait faire.